B. Denaes : « Dans beaucoup de mes comportements, j'ai toujours été une femme. »
Libération et la gauche régressiste
Libération offrait il y a quelques jours, dans son numéro de samedi 15 et dimanche 16 février 2025, un portrait en double-page à Bruno Denaes, devenu Béatrice en 2019, à l’âge de 62 ans, après un coming-out et une prétendue « transition ». Denaes est le cofondateur de l'association Trans Santé France, une association de lobbying qui encourage « la prise en charge médicale d’affirmation de genre des personnes transidentitaires et/ou non-binaires », y compris des enfants et des jeunes, et qui représente la branche française de la WPATH, l'Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres. Auparavant, pendant plusieurs décennies, en tant que Bruno Denaes, il a travaillé dans le journalisme (France Bleu Nord, France 3, France Info, etc.), occupant des postes parfois importants comme celui de médiateur des antennes de Radio France de 2015 à 2018.
Son livre autobiographique, intitulé Ce corps n'était pas le mien (paru en 2020 aux éditions First, qui font partie du groupe Editis, qui appartient au milliardaire tchèque Daniel Křetínský), expose de manière particulièrement flagrante le fait que l’idéologie trans (sa théorisation dominante, en tout cas) repose sur un ensemble d’idées à la fois absurdes, ou a minima purement subjectives (des sortes de superstitions), et sexistes. Parmi lesquelles :
l’idée (sexiste et normative) selon laquelle les hommes doivent être masculins et les femmes féminines. Autrement dit une adhésion stricte aux normes de genre, aux rôles sociaux et sexuels assignés à chacun des deux sexes.
L’idée selon laquelle l’esprit et le corps font deux.
L’idée selon laquelle nous sommes uniquement notre esprit.
l’idée selon laquelle notre esprit est sexué (ou genré, les idéologues trans emploient souvent « sexe » et « genre » de manière interchangeable, indistincte, ce qui participe à tout rendre encore plus confus).
L’idée selon laquelle il est possible de « naître dans le mauvais corps ». Qui correspond à l’idée selon laquelle il peut y avoir « incongruence », « discordance » ou « inadéquation » entre l’« identité de genre » (la personnalité d’un individu) et son corps sexué. (Le Robert définit la transidentité comme une « identité sexuelle psychique en discordance avec le sexe biologique ». Le Larousse comme le « fait d'avoir une identité de genre qui n'est pas en adéquation avec le sexe assigné à la naissance ». SOS Homophobie définit une personne trans comme une « personne dont l’identité de genre (féminine, masculine, ou non-binaire) ne correspond pas à son sexe biologique ». Etc.)
L’idée selon laquelle ce qui fait une femme, et même ce qui fait le sexe féminin, c’est d’abord une personnalité (féminine), c’est-à-dire un ensemble de goûts (vestimentaires et autres), de comportements, d’affinités ou d’aversions pour certaines activités, etc., et ensuite, secondairement, le fait d’avoir (et non pas d’être, la théorie trans dissocie corps et esprit) un corps de sexe féminin. La même chose est vraie pour ce qui fait un homme, il suffit de remplacer les termes. (Certaines versions de l’idéologie trans – parce qu’encore une fois, il en existe plusieurs, autant que de « personnes trans », semble-t-il – évacuent entièrement le corps sexué. Mais pas celle que défend Denaes.)
Il découle – certes confusément – de ces idées que si vous êtes un homme et que vous jugez votre personnalité « féminine » (selon les définitions de la féminité et la masculinité établies par la société dominante), vous pouvez en conclure que vous êtes possiblement, en fait, une femme, mais « née dans le mauvais corps ». (Oui, tout ça est aussi terriblement homophobe.)
Dès le début de son récit, Denaes explique qu’en ce qui le concerne, tel était le cas : « la nature s’est trompée ». Après avoir longtemps hésité, il a donc décidé, à près de 60 ans, de rejoindre la cohorte de ceux qui entreprennent de mettre leur corps « en conformité avec leur esprit ». En effet, plusieurs choses semblaient indiquer, selon lui, qu’il était psychologiquement de sexe féminin (une idée pas sexiste du tout). Par exemple, enfant, il avait dévoré la série Alice, « alors qu’elle est destinée aux filles ». Aussi, au lycée :
« mon esprit féminin continue de me poser des problèmes, notamment en cours d’éducation physique où les sports collectifs priment. Quand c’est foot, je fais le minimum syndical, et suis d’ailleurs vite rejeté à cause de mon manque d’efforts et de passion. Le volley me plaît plutôt. La voile également. Mais la session annoncée de plusieurs semaines d’initiation à la boxe, c’est trop. À présent, je suis capable de m’affirmer, même face à un enseignant. S’engage une discussion avec notre professeur d’éducation physique et un argument qui me semble imparable : “Oui, je refuse de porter des coups à mes camarades. Philosophiquement, je refuse de mettre des gants de boxe.” Finalement dispensé de sport pendant cette session, je ne suis pas peu fier d’avoir réussi à défendre mes principes ! »
Entre plein d’autres choses stéréotypées, Denaes associe aussi sa « quête de féminité » à son « envie de [se] faire percer les oreilles ». Comme il l’explique fièrement : « dans beaucoup de mes comportements, j’ai toujours été une femme ». Merveilleusement progressiste.
Et « grâce à la médecine, j’ai gagné le corps féminin tant espéré ». Cela dit, encore une fois, « mentalement », il n’a « pas changé de sexe », étant donné qu’il a « toujours ressenti intérieurement une existence de femme ». Eh oui, rappelez-vous, « femme », c’est avant tout un type de personnalité, une certaine sensibilité, un goût pour les talons, les robes, le maquillage, les cheveux longs, une aversion pour le sport collectif et la boxe, etc. Quoi qu’il en soit, Denaes est satisfait : « aujourd’hui, mon physique et mon esprit sont enfin en adéquation ». Le sexe et le genre (le corps et l’esprit) ont ainsi été rattachés, les normes socio-sexuelles sont sauves. Le patriarcat ricane. Il interview Denaes dans Libération.
Une dernière remarque. Il peut paraître étonnant d’imaginer que Denaes aurait effectué toutes les démarches qu’il a effectuées, les procédures administratives et chirurgicales, etc., juste afin d’atteindre à une sorte de conformité stéréotypique. Il y a sans doute autre chose. Et effectivement, le récit de Denaes suggère autre chose.
Denaes raconte comment, dès son plus jeune âge, le fait de revêtir des « vêtements féminins », robe, soutien-gorge et collant, de porter des talons et de mettre du maquillage, lui procure une très forte sensation de plaisir, un « sentiment d’extrême bonheur ». Ce qui évoque une forme d’« autogynéphilie ». Le terme a été inventé en 1989 par le sexologue Ray Blanchard, à partir des racines grecques auto (soi), gyné (femme) et philie (amour), pour désigner un trait observé chez nombre de transsexuels. Littéralement, il signifie donc « l’amour de soi en tant que femme ». Blanchard définit cette paraphilie comme la propension d’un homme à être érotiquement excité par la pensée ou l’image de lui-même en tant que femme. « L’image de lui-même en tant que femme », ou plutôt l'image de lui-même doté de certains attributs associés à la féminité dans notre société, c’est-à-dire à la féminité essentiellement conçue par et pour les hommes. L'autogynéphile semble trouver un plaisir très fort dans le fait de revêtir les attributs de cette féminité (vêtements, bas, collants, soutien-gorge, robes, rouge à lèvre, maquillage, bijoux, etc.).
Beaucoup d’hommes transsexuels ou transgenres (d’hommes se disant femmes, ayant été opérés ou non) admettent être autogynéphiles. Anne Lawrence, un psychologue et sexologue états-unien, également transsexuel, qui se dit aujourd’hui « femme trans » et qui a été opéré, admet être un autogynéphile et a écrit un livre sur le sujet, pour lequel il a interviewé des centaines d’individus transsexuels en vue, notamment, de discuter de l’autogynéphilie. L’« autogynéphilie », le sentiment d’excitation érotique lié à « l’image de soi en femme », constitue un puissant motif de « transition » pour un certain nombre d’hommes se disant « femme trans ».
En soi, peu m’importe que Denaes soit ou non autogynéphile. Peu importe l’autogynéphilie. Tant que cela ne nuit pas à autrui, chacun devrait être libre d’assouvir ses envies érotiques comme bon lui semble.
Mais Denaes n’est pas une femme, pas selon la seule acception logique, non-sexiste, du terme (femelle humaine adulte). Et personne ne naît dans le mauvais corps. Aucun esprit, aucune personnalité n’est en « désaccord », en « incongruence », en « discordance » ou en « inadéquation » avec le corps qui la produit et qu’elle façonne en retour. Le corps et l’esprit sont indissociables, ils font un, comme le soulignent depuis longtemps divers courants de pensée, y compris les plus modernes et scientifiques. (Le célèbre professeur de neurologie António Rosa Damásio remarque qu’un « esprit, ce qui définit une personne, requiert un corps et qu’un corps, un corps humain, assurément, engendre naturellement un seul esprit. Un esprit est si étroitement façonné par le corps et destiné à le servir qu’un seul et unique esprit pouvait y faire son apparition. »)
Il est incroyablement stupide et criminel d’inculquer ces idées de dissociation dualiste corps/esprit aux enfants, de leur suggérer que leur personnalité pourrait être en discordance avec leur corps lorsque leur comportement ou leurs goûts ne correspondent pas aux stéréotypes dans lesquels la société patriarcale enferme chacun des deux sexes, et de leur proposer, le cas échéant, de mutiler leur corps afin de le conformer à leur esprit.
Et il est pour le moins aberrant que des gens supposément progressistes, supposément opposés au sexisme et féministes, ne réalisent pas le caractère irrationnel, lourdement sexiste, conservateur, voire réactionnaire, des idées que professe Denaes et qui constituent la base du mouvement trans (en tout cas de sa branche principale, la plus médiatique).
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous conseille de vous procurer le livre qu'Audrey et moi avons publié en 2023, Né(e)s dans la mauvaise société - Notes pour une critique féministe et socialiste du phénomène trans : https://www.partage-le.com/produit/dans-la-mauvaise-societe/