Dans mon enquête sur les tenants et les aboutissants du phénomène trans, les travaux de la féministe britannique Jane Clare Jones m’ont fourni des éclairages et des explications précises et cruciales. À tel point que j’ai décidé de traduire plusieurs de ses textes, qui articulent brillamment les raisons pour lesquelles le mouvement trans constitue une attaque contre les droits des femmes, une nouvelle forme de misogynie et un des multiples fanatismes identitaires qui s’expriment à l’âge de Trump (ces traductions figurent sur le site www.partage-le.com).
Une excellente compilation d’essais de Jones sur le sujet trans vient d’être publiée par la Trêve éditions, que vous pouvez commander ici : https://latreveeditions.sumupstore.com/article/le-sexe-le-genre-et-judith-butler-1
Je vous encourage vivement à vous la procurer. Contrairement à la plupart de ceux qui font la promotion des idées et des revendications trans, Jones connaît l’histoire du mouvement trans. Elle a lu ses principaux théoriciens. Et ses plus récents, comme Judith Butler. Mais contrairement à Son Altesse Judith Butler, malgré son immense érudition, Jones ne bénéficie et ne bénéficiera pas d’une promotion mass-médiatique internationale. Comme tous les travaux réellement subversifs et qualitatifs, les siens ne peuvent se propager que grâce à la volonté de personnes impliquées, à un véritable militantisme.
Un extrait :
« Comme nous l’avons vu, l’argument selon lequel le sexe serait un continuum repose sur l’instrumentalisation des personnes atteintes de conditions “intersexes” — on parle aussi de troubles du développement sexuel ou de la différenciation sexuelle (TDS). Il est souvent étayé par des affirmations exagérées concernant l’incidence des TDS, que Fausto-Sterling (1993, p. 21) a d’abord estimée à 4 %, puis ramenée à 1,7 % (Blackless et al. 2000), puis à 0,4 % (Hull et Fausto-Sterling 2003). Comme Hilton et Wright l’expliquent dans ce volume, l’incidence des TDS a été estimée à 0,018 % par Leonard Sax (2002). Hull (2005) a attribué la surestimation de l’incidence des TDS par Fausto-Sterling à une “philosophie […] trop enracinée dans la découverte de taux relativement élevés de non-dimorphisme sexuel” (p. 68).
Fausto-Sterling (2000b) s’investit dans cette “découverte” parce qu’elle se considère en lutte contre le “monde biologique platonicien et idéalisé”, dans lequel “les êtres humains sont divisés en deux types : une espèce donc parfaitement dimorphique” (p. 19-20). Ce qui illustre et confirme le fait que des hypothèses platoniciennes sous-tendent l’idéologie de la négation du sexe. Fausto-Sterling s’imagine réfuter le platonisme, alors même que son argument repose sur l’hypothèse selon laquelle les différences empiriques significatives entre “deux types” doivent se manifester avec une régularité absolument “parfaite”. La littérature de la négation du sexe affirme inlassablement que “la distinction physique entre les hommes et les femmes n’est pas absolue” (Whittle [1999] 2002, p. 7) et qu’on ne peut pas “tracer de ligne de démarcation stricte entre les sexes” (Hines 2020, p. 709). En réalité, la plupart des phénomènes empiriques présentent des cas limites. On ne peut pas “tracer de ligne de démarcation stricte” entre, par exemple, le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais personne n’en conclut pour autant qu’il n’existe pas de distinction significative entre ce que ces concepts désignent, qu’ils n’ont aucun sens, ou qu’ils ont été créés par “le pouvoir”. Les phénomènes empiriques présentent généralement des délinéations imprécises. Mais les concepts humains fonctionnent toujours parfaitement malgré des contours flous.
En outre, il n’est pas vrai que, comme l’a affirmé Whittle ([1999] 2002), le sexe humain est “un continuum, avec des caractéristiques femelles à une extrémité et mâles à l’autre” (p. 7). Une situation dans laquelle plus de 99 % des personnes se situent à l’un ou l’autre des “extrêmes” et où il n’existe qu’un nombre infime de cas ambigus ne correspond pas à un “continuum”. Il s’agit d’une différence physique dichotomique avec un petit nombre d’irrégularités dues au fait que le sexe résulte d’un processus de développement complexe. En outre, si ces voies de développement se caractérisent par un très faible degré d’irrégularité, le développement sexuel humain ne comprend que deux voies, ayant évolué en vue de produire un organisme capable de remplir l’une des deux fonctions reproductives. La différence entre les ovaires et les testicules n’est pas une question quantitative, de degré, mais une différence qualitative, de nature. Chaque structure a évolué en vue de produire l’un des deux types de gamètes nécessaires à la fécondation dans le cadre de la reproduction sexuée (Hilton et Wright, 2020).
Il est important de rappeler ici que le concept de sexe désigne “les deux catégories principales (mâle et femelle) dans lesquelles […] de nombreux […] êtres vivants sont divisés sur la base de leurs fonctions reproductives” (Oxford English Dictionary ; je souligne). La distinction, chez l’être humain, entre la fonction “peut produire du sperme et inséminer” et la fonction “peut produire des ovules et tomber enceinte” n’est pas une différence de degré. Le sexe désigne l’une ou l’autre des fonctions reproductives, soit une différence de nature. Et si la morphologie sexuelle humaine a évolué dans l’optique de remplir des fonctions reproductives spécifiques, le fait que certaines personnes dotées d’une morphologie particulière ne puissent pas remplir ces fonctions en raison d’anomalies du développement, de maladies ou d’accidents ne signifie pas qu’elles cessent d’appartenir à une des deux catégories ou qu’elles ne peuvent pas être identifiées (Bogardus, 2022). Par ailleurs, les individus qui présentent une ambiguïté dans leurs caractéristiques sexuelles ne relèvent pas d’un troisième ou d’un quatrième type de fonction reproductive parce qu’il n’existe que deux possibilités. En d’autres termes, il n’y a pas “plus de deux sexes”. »
Merci de nous parler de ce livre et nous faire connaître cette petite maison d’édition. Je vois qu’il y a déjà eu un livre de Robert Jensen de paru sur le genre.
Les extraits sont vraiment excellents :)