Qu’est-ce qu’une femme ? Judith Butler & Arte falsifient Simone de Beauvoir
Et ça continue, encore et encore
Arte a récemment produit et diffusé un documentaire intitulé Le Deuxième Sexe - Sur les traces de Simone de Beauvoir. Le documentaire contient des passages très intéressants. Le seul petit problème, c’est qu’en associant les idées de l’autrice du Deuxième sexe aux revendications du mouvement trans, au travers d’interventions, notamment, de Judith Butler, il constitue un travestissement complet des idées de Simone de Beauvoir. Mais rien d’étonnant, la récupération de Simone de Beauvoir, c’est une passion chez les idéologues trans, un classique de la rhétorique trans.
« On ne naît pas femme, on le devient. » Et on ne compte plus les benêts qui falsifient le sens de ce propos de Simone de Beauvoir. Simone de Beauvoir était en effet très claire sur le fait qu’être femme se rapporte — évidemment — à la biologie. Voici le passage dont est tirée sa fameuse phrase :
« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. »
La « femelle humaine », c’était pourtant évident. Dans Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir écrit aussi :
« Mais d’abord : qu’est-ce qu’une femme ? […] Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il y a dans l’espèce humaine des femelles ; elles constituent aujourd’hui comme autrefois à peu près la moitié de l’humanité ; et pourtant on nous dit que “la féminité est en péril” ; on nous exhorte : “Soyez femmes, restez femmes, devenez femmes.” Tout être humain femelle n’est donc pas nécessairement une femme ; il lui faut participer de cette réalité mystérieuse et menacée qu’est la féminité. »
Ce qui devrait donc être clair, c’est que dans la phrase « on ne naît pas femme, on le devient », « femme » désigne simplement l’archétype de la femme féminine que les femmes sont sommées d’incarner dans la société patriarcale. Simone de Beauvoir recourt à une métonymie, c’est-à-dire à une figure de style « par laquelle on désigne une entité conceptuelle [ici l’archétype de la femme féminine] au moyen d’un terme qui, en langue, en signifie une autre [ici femme], celle-ci étant, au départ, associée à la première par un rapport de contiguïté ». Simone de Beauvoir continue :
« Cela signifie-t-il que le mot “femme” n’ait aucun contenu ? C’est ce qu’affirment vigoureusement les partisans de la philosophie des lumières, du rationalisme, du nominalisme [et les militants trans !] : les femmes seraient seulement parmi les êtres humains ceux qu’on désigne arbitrairement par le mot “femme” ; en particulier les Américaines pensent volontiers que la femme en tant que telle n’a plus lieu ; si une attardée se prend encore pour une femme, ses amies lui conseillent de se faire psychanalyser afin de se délivrer de cette obsession. […] Mais le nominalisme est une doctrine un peu courte […] Assurément la femme est comme l’homme un être humain : mais une telle affirmation est abstraite ; le fait est que tout être humain concret est toujours singulièrement situé. […] Il est clair qu’aucune femme ne peut prétendre sans mauvaise foi se situer par-delà son sexe. »
JE RECAPITULE, pour celles et ceux qui ne suivent pas. Tout au long du Deuxième sexe, Simone de Beauvoir emploie le mot « femme » dans deux sens différents.
Au sens propre, pour désigner la femelle humaine adulte.
Dans un sens figuratif, métonymique, pour désigner, EN PLUS, l’image de la femme que fabrique la société patriarcale, le rôle social et sexuel et les stéréotypes associés à la « féminité ». Ce deuxième sens peut être représenté par l’équation suivante : femelle + féminité = femme.
C’est pour cette raison que Simone de Beauvoir écrit par exemple que la « fonction de femelle ne suffit pas à définir la femme ». Ici, elle emploie « femme » dans le deuxième sens, figuratif, mentionné ci-dessus : la fonction de femelle ne suffit pas parce qu’il faut lui ajouter la féminité. Mais en dehors du monde figuratif et des figures de style, Simone de Beauvoir considère évidemment que les femmes sont les femelles humaines adultes. Tout le premier chapitre de son livre, intitulé « Les données de la biologie », vise à discuter des différences biologiques entre femmes et hommes. Par exemple :
« En moyenne elle est plus petite que l’homme, moins lourde, son squelette est plus grêle, le bassin plus large, adapté aux fonctions de la gestation et de l’accouchement ; son tissu conjonctif fixe des graisses et ses formes sont plus arrondies que celles de l’homme ; l’allure générale : morphologie, peau, système pileux, etc. est nettement différente dans les deux sexes. La force musculaire est beaucoup moins grande chez la femme : environ les deux tiers de celle de l’homme ; elle a une moindre capacité respiratoire : les poumons, la trachée et le larynx sont moins grands chez elle ; la différence du larynx entraîne aussi la différence des voix. »
Après avoir amplement décrit les différences physiologiques entre les hommes et les femmes, Simone de Beauvoir ajoute :
« Ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation : dans toutes nos descriptions ultérieures, nous aurons à nous y référer. Car le corps étant l’instrument de notre prise sur le monde, le monde se présente tout autrement selon qu’il est appréhendé d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi nous les avons si longuement étudiées ; elles sont une des clefs qui permettent de comprendre la femme. Mais ce que nous refusons, c’est l’idée qu’elles constituent pour elle un destin figé. Elles ne suffisent pas à définir une hiérarchie des sexes. »
Concernant ce point précis, Simone de Beauvoir était donc très claire. Elle n’a jamais pensé que le terme « femme » pouvait ou devrait être dissocié de la biologie, du sexe féminin. Jamais. La manière dont des charlatans l’instrumentalisent afin de promouvoir une idéologie qui encourage des personnes à se médicaliser et à se mutiler chirurgicalement afin de mettre leur corps en conformité avec leur personnalité est aussi grotesque qu’indécente.
Le documentaire plonge définitivement dans l’absurde avec le passage de la vidéo ci-dessus, dans lequel on nous dit que « la grossesse et le genre ne fonctionnent pas toujours ensemble, on peut être une femme sans tomber enceinte, on peut tomber enceinte sans être une femme ». Sauf que :
La grossesse et le genre ne fonctionnent évidemment pas ensemble, quoi que veuille dire une phrase aussi obscure, pour la raison que la grossesse est un processus biologique, lié, donc, au sexe (et pas au genre, au sens habituel du terme, désignant les stéréotypes assignés à chacun des deux sexes).
Le mot « femme » ne renvoie pas à un « genre » (qui aurait décrété ça ? et que cela signifierait-il ?), mais à un sexe, au sexe féminin, plus précisément. Le seul qui donne la vie.
Autre sophisme lunaire ensuite employé dans le documentaire : une intervenante affirme qu’une femme ayant eu une hystérectomie reste une femme. Incroyable, non ? Qui aurait pu le prédire ? Le passage semble suggérer que l’on devrait en conclure que « femme » n’a donc rien à voir avec la biologie, et donc, par exemple, que l’on devrait accepter de considérer les mâles humains qui se disent femme (les soi-disant « femmes trans ») comme des femmes.
Seulement, si une femme ayant eu une hystérectomie reste évidemment une femme, c’est parce que le caractère sexué d’un corps ne relève pas d’un seul organe en particulier, mais du corps tout entier (il est inscrit dans chacune de ses cellules). Ce fait – évident – ne signifie donc absolument pas que le terme « femme » ne renvoie pas à la biologie, et pas non plus qu’un mâle humain se disant femme devrait être considéré comme une femme (sic). Un enfant d’environ 10 ans est capable de comprendre cela, de concevoir et d’effectuer un tel raisonnement. Les adultes queer et les idéologues trans en sont incapables. Pour eux, si une femme sans utérus reste une femme, alors les individus à pénis qui disent être des femmes sont des femmes. Si un unijambiste reste un être humain, alors les chèvres sont des moutons. Logique queer.
Butler, pied au plancher, embraye et passe la cinquième, atteignant une fulgurance de pensée cosmo-ectoplasmique en affirmant que si, avant, des femmes ne pouvaient pas faire tel métier, et que désormais elles peuvent, tout en étant toujours considérées comme des femmes, alors cela signifie, comme l’aurait pensé Simone de Beauvoir (selon elle), que le sens du terme femme a changé, et qu’on peut donc inclure n’importe qui dans la catégorie « femme », y compris des hommes, des mâles de l’espèce humaine. Grandiose. Il ne s’agit pas d’un raisonnement, ni d’un argumentaire, mais d’un numéro de cirque. Butler :
« Alors pourquoi ne pas ouvrir la porte à celles qui se considèrent pleinement, et à juste titre, comme des femmes ? A celles qui ne sont pas dotées des mêmes attributs biologiques que les autres femmes ? Tout ça fait partie du spectre des identités féminines. »
« Et à juste titre » ? En quoi des mâles humains adultes peuvent-ils « à juste titre » se considérer comme des femmes ? La seule réponse possible des idéologues queer/trans à ça, qui saute aux yeux au vu de l’apparence que revêtent ces hommes (qui se disent femmes), c’est : parce qu’ils ont adopté les codes esthétiques de la féminité (vêtements féminins, cheveux longs, pas de barbe, etc.), et sans doute aussi certains codes comportementaux de la féminité (voire l’apparence du corps féminin, pour les plus motivés, passés par la chirurgie).
Ici, Butler prône donc une chose non seulement incohérente, insensée, sur le plan sémantique, mais en outre une chose qui contredit tout ce que souhaitait Simone de Beauvoir. Simone de Beauvoir critiquait la féminité imposée aux femmes. Elle souhaitait que les femmes s’affranchissent de ce rôle sociosexuel, des stéréotypes associés à la féminité. Butler propose que les mâles humains qui adoptent les codes de la féminité, les apparats du féminin, soient considérés comme des femmes. Elle réduit les femmes (et le terme « femme ») à la féminité. Butler, c’est donc l’anti-Beauvoir.
Il faut insister : il n’y a pas d’autre explication possible. Si des mâles humains adultes sont des femmes, c’est que le terme « femme » n’a plus rien à voir avec le sexe (féminin, en tout cas). C’est donc que « femme » renvoie à autre chose qu’à la biologie, à un aspect du donné naturel. C’est donc que « femme » renvoie à des faits culturels, à des stéréotypes vestimentaires, comportementaux, etc. Cela signifie, en d’autres termes, que vous venez de retirer aux femelles humaines adultes le terme qui leur permettait de se nommer, le terme associé à leur histoire, à leurs droits, à leur lutte, que vous l’avez vidé de toute signification logique et offert à tout le monde et n’importe qui.
Et vous appelez ça féminisme.
Vous pourriez vous dire que, bon, effectivement, Judith Butler raconte un peu n’importe quoi. Ces gens sont un peu perchés, soit, mais laissons pisser. Le problème, comme je l’ai mentionné plus haut, c’est d’une part que le mouvement trans cause de véritable dégâts sociaux et humains, notamment en médicalisant et en corrigeant chirurgicalement la non-conformité aux stéréotypes de genre.
Le problème – et là je m’adresse aux femmes –, c’est d’autre part que ce sont vos droits qui sont en train d’être démolis. Jusqu’à récemment, dans les textes de loi, le terme « femme » et l’idée de « sexe », par exemple, n’étaient pas définis parce que leur sens était évident, pris pour acquis. Mais à cause du lobbying de groupe de militants, avec l’essor du mouvement trans, leur sens a perdu cette évidence. Et désormais, ainsi que le dénoncent de plus en plus de féministes, comme l’ex-politicienne et membre des Verts en Autriche Faika El Nagashi et la directrice du Réseau européen des femmes migrantes Anna Zobnina, les droits des femmes sont érodés par l’expansion d’une novlangue incohérente, confuse, contradictoire. Dans les textes du Conseil de l’Europe, soulignent-elles, le sens du mot « femme » se liquéfie, le terme « sexe » est de plus en plus remplacé par « genre », ou « identité de genre ». L’égalité entre les sexes devient une « égalité entre les genres », que l’on peine à définir. Le « genre » désigne désormais à la fois une caractéristique à protéger, une identité et un ensemble de stéréotypes à combattre. Idiocratie.
Afin de défendre les droits des femmes, des féministes britanniques ont contesté des modifications juridiques de ce type. La Cour suprême du Royaume-Uni doit bientôt rendre son verdict sur le sens du terme « femme ». L'enjeu est de taille. La Cour décidera non seulement qui peut légalement se considérer comme une femme, mais aussi qui peut accéder aux droits et aux protections pour lesquels les femmes se sont battues pendant des générations. L’enjeu, pour les femmes, est donc immense.
Judith Butler, les militants trans/queer et tous leurs affidés (qui comprennent la bourgeoisie culturelle dotée des moyens de produire et financer ce type de propagande audiovisuelle) cherchent à vous effacer, à dissoudre votre existence politique, votre histoire, vos droits, vos luttes, dans une bouillie idéologique insane. Allez-vous les laisser faire ?